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Grands auteurs

Viviane Koenig, Drôles d’histoires de fripons

« Veux-tu commencer ? propose Pampinée à son amie Neiphile. Choisis une histoire triste, drôle, charmante ou effrayante, selon ton bon vouloir. Nous t’écoutons.
— Connaissez-vous les mésaventures de messire Conrad ? demande la jeune fille. Non ? Alors écoutez un peu. »
Imaginez. D’un un saut, vous voilà en Italie, au XIVe siècle. Avec vos amis, vous avez fui la peste qui a envahi Florence et vous vous êtes installés dans une belle propriété au cœur de la Toscane. Pour occuper vos journées, chacun va raconter une histoire, à tour de rôle, et quand le tour sera fini, on recommencera. Des histoires, il y en aura cent ! Dix amis, pendant dix jours, cela donne… cent histoires, inventées par le célèbre poète italien Boccace.
Viviane Koenig a choisi six nouvelles, les plus drôles et les plus émouvantes que compte ce recueil ; amour, mensonge, gourmandise, courage, aventure, finalement, rien n’a vraiment changé au fil des siècles. Elle les a adaptées, avec respect, pour les rendre accessibles aux jeunes lecteurs du XXIe siècle. Francesca Capellini, italienne… comme Boccace et très inspirée par la peinture de la fin du Moyen Age et du début de la Renaissance, a illustré cet album avec brio : cela pétille de couleurs et d’énergie. Les costumes, notamment, rivalisent de créativité, dans des décors de rêve.

Dès 10 ans

Viviane Koenig, Drôles d’histoires de fripons, illustrations de Francesca Capellini, Saltimbanque, 2022, 72 p., 16,90 € — Imprimé en France

Marguerite Souchon, Comment Dostoïevski fut sauvé

« A la vue de l’écrivain égaré, le vacarme cesse et tous les enfants se tournent vers lui, comme une petite armée, attendant un geste de leur maître pour donner l’assaut.
“Je cherchais la sortie du souterrain… Je m’appelle Fiodor…”, bredouille Dostoïevski.
“Et moi, Nikolaï Stavroguine”, répond d’une voix caressante l’ombre sur le trône, qui s’avère être un homme vêtu de noir. »
Cela ne vous fait pas dresser les poils sur les bras ? Un personnage de roman qui s’adresse à son auteur, déjà bien perturbé, brrr… Car avant cet épisode, Marguerite Souchon a conté comment Dostoïevski a subi un simulacre d’exécution, puis a été envoyé au bagne, dont il tente de s’échapper par ce fameux souterrain. Et que Stavroguine ne va-t-il pas demander à son auteur pour lui permettre de recouvrer sa liberté ? Mais il faut bien en passer par cet épisode terrifiant pour, littéralement, revivre quand arrive « un homme de haute taille, aux cheveux flottant sur une sorte de manteau de pèlerin. Nul ne l’a jamais vu, et pourtant tous le reconnaissent ». Un homme qui va opérer un miracle. Le peintre François-Xavier de Boissoudy soutient ce récit à bout de bras – on serait tenté de dire « à bout de pinceaux » : des lavis plus sombres que la nuit alternent avec d’autres, vibrants d’un brasier intérieur dont on se demande jusqu’où on peut l’approcher sans crainte de se brûler… Difficile de pousser plus loin la réflexion sur le bien, le mal, la liberté, la foi et le pardon.

Pour adolescents « solides »

Marguerite Souchon, Comment Dostoïevski fut sauvé, illustrations de François-Xavier de Boissoudy, Les Petits Platons, 2023, 64 p., 16 € — Imprimé en République Tchèque

Hans Christian Andersen, Poucette

Une femme, qui ne pouvait avoir d’enfant, reçut d’une sorcière un grain d’orge magique. De sa tige sortit « une belle fleur semblable à une tulipe », et de la fleur, « une toute petite fille, à peine plus haute qu’un pouce. Aussi l’appela-t-elle Poucette ». Mais un crapaud, énorme et visqueux », enlève Poucette, endormie dans sa coquille de noix. Sera-t-elle contrainte à épouser son fils, de servir de bonne au rat des champs ? Pire encore, d’épouser Monsieur Taupe ? Heureusement, une petite hirondelle qu’elle avait soignée, compatissante, l’emporte d’un coup d’aile dans un pays ensoleillé où règne le prince des fleurs.
D’origine danoise, l’artiste Mette Ivers a donné des couleurs légères et raffinées à ce conte qui serait bien cruel s’il ne se terminait par l’apothéose de Poucette, dotée d’ailes par son prince pour voler avec lui de fleur en fleur.

Dès 7 ans

Hans Christian Andersen, Poucette, illustrations de Mette Ivers, L’Etagère du bas, 2022, 40 p., 15,50 € — Traduit du danois par David Soldi, traduction « légèrement revue par Mette Ivers » dit l’éditeur. Imprimé en Europe.

Jean de La Fontaine, Fables

Choisir des Fables répond à peu près toujours à un savant dosage entre fables connues et archi-connues, et fables moins souvent apprises ou carrément oubliées. Ce recueil a bien compris la recette : entre « Le Lièvre et la Tortue » et « Le Lion et le Rat », il est bien agréable de lire « Le rat et l’Huître » ou « L’Eléphant et le Singe de Jupiter ». J’avais oublié que Jupiter eût un singe !
Même si la plupart des œuvres de Catherine Meurisse ne sont pas à mettre sous des yeux enfantins, ne boudons pas notre plaisir avec ses Fables ! Elle explique dans une page pleine d’à‑propos comment « les Fables agissent sur un dessinateur comme un appeau : on dresse l’oreille et on ne peut y résister. […] L’appel des Fables, c’est l’appel de la forêt. Forêt de roseaux et de buissons, de bêtes sauvages et d’animaux de ferme, de rois et de bergers, de paysannes et de déesses. Forêt d’images populaires, de morales bien connues. Des mythes, des chansons. » C’est bien cela, une tradition, n’est-ce pas ?

Dès 7 ans

Jean de La Fontaine, Fables, illustrations de Catherine Meurisse, Réunion des Musées nationaux, 2022, 80 p., 19,90 € — Illustrations gravées en France, album imprimé en Belgique.

S. Corinna Bille, Petits Contes de Noël

« J’aimais beaucoup la maison de ma grand-mère. C’était une drôle de maison tellement pleine de choses qu’il n’y avait plus place pour un seul grain de poussière, disait-elle. Mais j’aimais par-dessus tout la crèche de verre. » A force de la regarder de loin, puis de (trop) près, voilà que la fillette « toucha la vitre qui vola en éclats. Complètement abasourdie, » elle se retrouva… dans la crèche, à s’entretenir avec Joseph et Marie. Ou n’est-elle que tombée de la chaise ? De ces neuf petits contes de Noël se dégage une douce nostalgie : en hiver, il fait froid, on peut tomber malade, attendre la neige ou se perdre dans la nuit. On peut aussi rêver de ne plus être seul, ou ne pas vouloir rester dans son carton comme cette si belle poupée. Et sous la plume de Corinna Bille (1912–1979), même le Père Noël photographe des grands magasins a droit à notre bienveillance… Certains contes se prêteront fort bien à une lecture à voix haute devant la cheminée.

Dès 12 ans –certains contes sont à lire à voix haute en famille

Corinna Bille, Petits Contes de Noël, illustrations de Hannes Binder, La Joie de Lire, coll. « La petite bibliothèque de S. Corinna Bille », 78 p., 14,90 € — Imprimé en Lettonie

 

James Matthew Barrie, Peter Pan dans les jardins de Kensington

« Il a toujours le même âge, cela n’a aucune espèce d’importance. Son âge est une semaine, et quoiqu’il soit né depuis bien longtemps, il n’a jamais eu d’anniversaire, et il n’a pas la moindre chance d’en avoir jamais. La raison de cette anomalie c’est qu’à l’âge de sept ans, il a abandonné la condition d’homme ; il s’est échappé par la fenêtre et s’est sauvé dans les Jardins de Kensington.
Si vous croyez que c’est le seul enfant qui ait jamais voulu s’échapper, c’est la preuve que vous avez complétement oublié votre enfance. »
Mais qui est cet étrange personnage ? Peter Pan, bien sûr ! Mais à quel âge se terminait « votre enfance » quand on sait que ce récit faisait la joie des jeunes lecteurs qui le découvrirent en 1906 ? Avant de s’envoler pour le Pays imaginaire en compagnie de Wendy, ce petit garçon qui ne voulait pas grandir vit de multiples aventures dans les Jardins de Kensington, au cœur de Londres. Il parle aux oiseaux, apprivoise les fées par sa musique et navigue sur la Serpentine en affrontant des tempêtes.  J.M. Barrie avait confié à Arthur Rackham (1867–1939), l’un des plus grands illustrateurs anglais, le soin d’insuffler à ce chef‑d’œuvre littéraire une dimension picturale et fantastique. À travers 50 aquarelles superbement reproduites par les soins de la BnF, cet ouvrage restitue la beauté et le raffinement de l’édition originale, dans la tradition des « gift books » de l’ère édouardienne. Un cadeau hors du temps…

Dès 9 ans

James Matthew Barrie, Peter Pan dans les jardins de Kensington, illustrations d’Arthur Rackham, Bibliothèque nationale de France, 2022, 128 p., relié, 19 € — Traduit de l’anglais. Imprimé en Italie

Hans Christian Andersen, La Reine des neiges

« “Que c’est donc amusant !” disait le Diable en contemplant son ouvrage. Lorsqu’une pensée sage ou pieuse traversait l’esprit d’un homme, le miroir se plissait et tremblait. » Car c’est « un vilain merle, le plus méchant de tous, le Diable ». Et voilà qu’un infime morceau de ce miroir va pénétrer dans l’œil du jeune Kay, un bien gentil petit gars de ce Danemark des légendes. Son amie Gerda parviendra-t-elle à le sauver ? Ce célèbre conte d’Hans Christian Andersen est ici donné dans son texte intégral et dans une belle traduction de 1845, soit juste un an après la parution en danois. Plus tard, le « merle » redeviendra un « troll », mais peu importe…
Les superbes illustrations, très actuelles, d’Aliocha Gouverneur jouent sur de multiples registres, elles s’inspirent des traditions nordiques et slaves mais sans « folklorisme », mais aussi de l’Art Nouveau comme de l’expressionnisme.

Dès 8 ans

Hans Christian Andersen, La Reine des neiges, illustrations d’Aliocha Gouverneur, Albin Michel, 2022, 92 p., 24,90 € — Traduit du danois par Ernest Grégoire et Louis Moland. Imprimé en Espagne

Jean de La Fontaine, Fables à colorier

Entre deux fables très classiques, « Le Corbeau et le Renard » ou « Le Lièvre et la Tortue », voici pour renouveler notre plaisir « Le Coq et la Perle » ou « Le Renard et les Raisins ».  Ce petit fascicule découvert lors d’un salon du livre en Sologne regroupe six fables, illustrées au trait en noir et blanc, tout exprès pour inviter petits et grands au coloriage. C’est frais, léger, sympathique !

Dès 6 ans

Jean de La Fontaine, Fables à colorier, illustrations d’Hermeline, Editions Violette and Lulu, 2021, 16 p., 4 € — Imprimé en France

Marie de France, Fables

« Voyant un cerf plein de beauté / un lièvre se mit à envier / les cornes qui ornaient sa tête. / […] Dès lors le lièvre n’eut de cesse / de s’adresser à la déesse / et de lui demander pourquoi / il n’était pas doté de bois. » Son vœu exaucé, le voilà bien encombré : il ne peut plus se déplacer.
Morale de la fable : « Les cupides et les envieux / croient pouvoir tout réinventer / tant ils n’en ont jamais assez / et montrent tant de démesure / qu’ils courent à leur perte à coup sûr. »
Le Lièvre qui voulait des bois, Le Renard et le Coq, Le Loup et le Hérisson, Le Cerf en son miroir : ces quatre fables ne sont ni d’Esope, ni de La Fontaine, mais d’une poétesse du XIIe siècle, Marie de France. Si ses lais inspirés de la matière de Bretagne sont connus des amateurs de récits chevaleresques, ses fables le sont beaucoup moins. Parmi la centaine de fables qui lui sont attribuées, Christian Demilly en a choisi 24, les plus adaptées à de jeunes lecteurs. De cette poétesse, on ne sait rien de très précis, et l’on ne sait même pas dans quelle langue elle écrivit : les textes qui nous sont parvenus sont des copies en anglonormand, en picard et en francien. Toujours est-il qu’elle connaissait parfaitement les fables d’Esope ainsi que les œuvres de nombreux auteurs grecs et latins, mais aussi la littérature arabe (d’où la fable La Puce et le Chameau) et à la mythologie celtique.
La préface de l’éditrice aurait bien mérité une fable, avec son petit couplet « qui va bien » pour défendre le « matrimoine » et fustiger ses confrères (du XXe siècle !) oublieux des talents féminins : rien ni personne ne m’ont jamais empêchée de lire Christine de Pisan ou Marguerite de Valois.
Les enfants se régaleront des illustrations de Fred L., fraîches, drôles et inventives.

Dès 10 ans

2022, 58 p., 18,50 € — Traduction en Marie de France, Fables, illustrations de Fred L., Talents hauts, français moderne de Christian Demilly. Imprimé en Espagne.

Jacques Prévert, En sortant de l’école

« En sortant de l’école
nous avons rencontré
un grand chemin de fer
qui nous a emmenés
tout autour de la terre
dans un wagon doré… »
En ce début septembre, qui n’aurait pas envie de monter dans ce wagon doré, ou de faire le tour du monde, « de la lune et des étoiles, à pied à cheval en voiture et en bateau à voiles » ? Gallimard Jeunesse nous offre la réédition d’un superbe album illustré par Jacqueline Duhême. Née en 1927, cette grande artiste a fait ses débuts dans l’atelier de Matisse, puis a su convaincre les grands poètes de son temps d’écrire pour les enfants, tout en étant dessinatrice de presse. Sa connivence avec Jacques Prévert (1900–1977) est devenue une vraie amitié, sur laquelle reviennent deux belles pages documentaires. Les musiciens trouveront aussi en fin d’album la partition de ce poème devenu chanson : « Paroles de Jacques Prévert, musique de Joseph Kosma », savaient si bien dire les Frères Jacques avant de nous entraîner « tout autour de la terre ».

Dès 4 ans

Jacques Prévert, En sortant de l’école, illustrations de Jacqueline Duhême, Gallimard Jeunesse, 2022, 32 p., 15,50 € — Imprimé en Italie — Une réédition bienvenue de l’album paru en 1981.

Robert Louis Stevenson, L’Ile au Trésor

Robert Louis Stevenson, L’Ile au Trésor

« “Grand arbre, contrefort de la Longue-Vue ; point de direction N‑N.-E. quart N.
Ile du Squelette, E‑S. ‑E. quart E.
Dix pieds.
Les lingots d’argent sont dans la cache nord. Elle se trouve dans la direction du mamelon est, à dix brasses au sud du rocher noir qui lui fait face.
on trouvera sans peine les armes, dans la dune de sable, à l’extrémité N. du cap de la baie nord, direction E. quart N.
J. E. ”
Rien d’autre ; mais tout laconique qu’il était, et pour moi incompréhensible, ce document remplit de joie le chevalier et le docteur Livesey. »
Et vous ? Seriez-vous prêt à tout quitter pour tenter de retrouver ces lingots ?
L’Ile au Trésor n’a pas fini d’enthousiasmer ni les lecteurs ni les illustrateurs ! Eloïse Ogier en offre une interprétation colorée et dynamique qui réjouira tous les apprentis coureurs des mers. Ce texte classique en grand format (36 X 25 cm), fera un superbe cadeau.

Dès 12 ans

Robert Louis Stevenson, L’Ile au Trésor, illustrations d’Eloïse Oger, Marmaille et Cie Editions, 20 € — Traduit de l’anglais par Théo Varlet.

Jacques Prévert, Le petit lion

« La grande lionne montre les dents et personne parmi les grandes personnes de la Grande Ménagerie, personne parmi les gros et petits hommes qui payent pour voir les animaux captifs, personne n’oserait passer le bout du doigt entre les barreaux de la cage.
Enfermer une lionne dans une misérable boîte de bois avec de tristes barreaux de fer, il n’y a pas de quoi être fier. »
Et puis, tapi à ses côtés, voici « un petit lion bien gentil avec de grosses pattes et une douce petite tête bien ronde et dans cette petite tête, il n’y a rien d’autre que les très simples rêves d’un brave petit lion ». Qui va se sauver, pour tenter de rejoindre la forêt vierge… et qui va nous entraîner à sa suite dans les rêves et les jeux d’un petit lion.
Un article très intéressant signé de Laurence Perrigault (La revue des livres pour enfants, 258, sur le site du CNLJ) revient sur la genèse de cet album. Jacques Prévert s’est en effet pris au jeu d’inventer ce conte animalier à partir de photos prises par Ylla, célèbre artiste photographe.
Laurence Perrigault nous rappelle que « le goût de Prévert pour l’enfance était alors notoire : André Breton avait salué dès 1940 dans son Anthologie de l’humour noir la faculté de Prévert de “disposer souverainement du raccourci susceptible de nous rendre en un éclair toute la démarche sensible, rayonnante de l’enfance” », lui qui disait aussi : « Que voulez-vous, cela peut sembler de l’enfantillage, mais j’attache autant d’importance, et même beaucoup plus, aux petites choses sans importance écrites pour les enfants qu’aux grandes choses définitives écrites pour d’importants adultes. »
De son vrai nom Kamilla Koffler, Ylla née en 1911 dans la capitale autrichienne, après une solide formation, s’était spécialisée dès 1933 dans la photographie animalière. Même si le texte fut caviardé par l’éditeur, au grand dam de Prévert, l’album reste un beau moment de littérature et les photos gardent tout le charme de l’argentique, et du travail sur le noir et blanc.

Dès 6 ans

Jacques Prévert, Le petit lion, photographies par Ylla, Arts et Métiers graphiques, 1958 (1ère édition en 1947). Brocantes, etc. Imprimé en France