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Grasset Jeunesse

Anne Cortey, Les Ébouriffés

 

« Nuages flocons, nuages océan
soufflés par le vent,
chapeau sur le lac.
L’eau miroir,
au-dedans et au-dessus

la ménagerie s’emballe… »
Des bleus verts, des verts bleutés, couleurs de la nature au petit matin. Mais est-ce une ombre, est-ce un reflet, est-ce un nuage ? Peut-être un cheval égaré ?
« Enfin d’un coup, c’est le grand réveil. » Trois enfants et leur chien apportent une touche de couleur sous la pluie : cirés jaunes, pull rayé, nattes rousses. Le cheval nuage va les emporter et ça galope si bien qu’il faut retourner l’album pour les suivre, ces trois ébouriffés. Une belle histoire à lire un jour de pluie – au bord d’un lac ou d’un étang, mais si vous n’en avez pas sous la main, imaginez-le !

Dès 4 ans

Anne Cortey, Les Ébouriffés, illustrations de Thomas Baas, Grasset Jeunesse, 2023, 32 p., 16,90 € — Imprimé en Espagne

André Marois, On ferait comme si

« Tu veux jouer à faire semblant ? On ferait comme s’il y avait un château dans un royaume éloigné ; Et on irait le visiter. » Et voilà nos deux loustics – un garçonnet qui « parle » en rouge et une fillette qui lui répond en bleu – au pied d’une échelle. En haut de l’échelle ? Est-ce une cabane, ou un donjon ? Et voilà la guerre lancée contre le « géant Potirus, le terrible roi des Citrouilles ». Le combat gagné, voici un Martien qui attaque « avec ses mille tentacules gluants »… (Là, il faudra retrouver de lointains souvenirs de toilettes au fond du jardin). Mais est-ce bien raisonnable de libérer ces « créatures bizzaroïdes » de leur prison – enfin, du poulailler ? On rit, on court, on se bouscule… La fin de l’aventure sonne comme celles de Max et Moritz ou des fripons des siècles précédents : nos deux héros doivent faire face à un Papa bien silencieux, les bras croisés devant la barrière du potager.
Les dessins rappellent ceux de Benjamin Rabier ou des images d’Epinal mais repassés au filtre des outils de dessin vectoriel – on aime moins le quadrillage fin de la peau des personnages, un peu artificiel. Ce qui n’empêche pas de partager l’exploration de ce jardin – ou de la planète Mars ?

Dès 5 ans

André Marois, On ferait comme si, illustrations de Gérard DuBois, Grasset Jeunesse, 2023, 56 p., 18,50 € — Imprimé en Espagne.

Bertrand Santini, Jonas, le requin mécanique

« Un requin en plastique qui flotte dans un bassin, ça n’impressionne même plus les enfants ! Aujourd’hui, nos visiteurs veulent des monstres numériques. Les pantins, c’est du passé. Alors, c’est décidé, nous allons fermer cette attraction et envoyer ce tas de ferraille à la casse.
Stanley se retourna d’un bond.
— Vous… Vous voulez jeter Jonas à la poubelle ? […]
— Le gros requin a un petit nom ? Comme c’est mignon !
— Ce n’est pas un requin s’indigna Stanley. C’est une légende ! »
Le directeur de Monsterland n’en démord pas. Jonas, qui fit le succès des Dents de la mort, ne cesse de dérailler ? Inutile de faire du sentiment… Du sentiment ? Mais si les autres monstres du parc d’attractions, Krokzilla en tête, décidaient de sauver leur ami, en l’aidant à réaliser son rêve ? Nager dans l’océan, goûter aux joies de la vie sauvage… avec toutes les péripéties que cela peut générer.
Bertrand Santini livre ici un roman désopilant, aux rebondissements les plus improbables, farci de clins d’œil et de calembours – vive les romans écrits en français ! Je ne l’avais pas repéré en 2014 mais, comme Grasset a l’excellente idée de le rééditer, je me suis d’autant plus régalée que le livre est fabriqué avec soin : illustrations raffinées, typographie très lisible, couverture rigide. Si rien n’oblige à voir ou revoir les Dents de la mer pour apprécier le roman, il est probable que les enfants ne regarderont plus les parcs d’attractions avec le même œil.

Dès 7 ans

Bertrand Santini, Jonas, le requin mécanique, illustrations de Paul Mager, Grasset Jeunesse, 2023 (réédition de 2014), 112 p., 15,90 € — Imprimé en Espagne

Christian Demilly, Monsieur Nourse et la vie (mode d’emploi)

« Le 1er janvier, tous les ans, c’est pareil. C’est le Nouvel An. Je ne vois pas ce qu’il y a de nouveau », voilà un exemple de ces jeux de mots qui plairont aux plus jeunes. Quelque part entre Petit Ours Brun et Mafalda, voici Monsieur Nourse, avec ses pulls pastel et ses cravates (oui, des cravates !) et son amie l’abeille. Sur chaque page, 3 strips de 3 cases comme autant de petites bandes-dessinées, et 3 questions hautement philosophiques que Monsieur Nourse se pose, nous pose, dans de brefs dialogues avec ladite abeille. Les pensées, le doute, les certitudes, mais aussi la gourmandise, l’hibernation ou les trucs inutiles… Sans oublier la solitude, l’amitié, les décisions, ou les indécisions. Mais « soi », « soi-même », qui est-on au juste ? Même si Monsieur Nourse n’est pas sûr de la réponse, au moins la question est-elle posée !

Dès 5 ans

Christian Demilly, Monsieur Nourse et la vie (mode d’emploi), illustrations d’Alice de Nussy, Grasset Jeunesse, 2022, 32 p., 18,90 € — Imprimé en Espagne

Christian Demilly, Bulle dans sa bulle

Bulle a enfilé son costume de lapin bleu, celui qui a des oreilles et un pompon pour la queue. Et dans ce costume, il lui en arrive des aventures- enfin, de toutes petites aventures : manger du saucisson et des éclairs au chocolat, mais pas en même temps, ça, il a essayé et ce n’est pas bon du tout ; collectionner les objets les plus bizarres, quitte à ne plus savoir dans quelle boîte de boîte de boîte il les a rangées ; rêver aussi, Bulle aime beaucoup ça, surtout quand son rêve le conduit dans un monde tout doux (mais pas tout mou, ne confondons pas) … Voilà un album 100 % poétique, donc forcément un peu rebelle ! Sans aucune violence, ni colère, ni jalousie, ni rien de tout cela, bien au contraire, Bulle a choisi : il s’est construit un petit monde bien à lui, avec la complicité d’Audrey Calleja dont le crayon est doux et acidulé comme un bonbon. A déguster sans modération, idéal pour aider un enfant un peu angoissé ou remuant à construire aussi ce petit monde dont il rêve.

Dès 4 ans

Christian Demilly, Bulle dans sa bulle, illustrations d’Audrey Calleja, Grasset Jeunesse, 2022, 40 p., 17 € — Imprimé en Espagne

Sandrine Kao, Après les vagues

La mer. L’île. Explorer. Se perdre. Belle étoile. La rencontre. S’attacher. Se découvrir. Chaque page ou double page de cet album, en quelques images et si peu de mots, ne décline pas une simple « aventure », ou une « situation », mais suggère ce qui se passe au fond de nos cœurs quand on part à l’aventure, à la découverte de soi et des autres. Les « héros » en sont de petits animaux au contour très simple dont Sandrine Kao ne sait pas elle-même très bien si ce sont des lapins, des chiens ou des marmottes… J’y verrai plutôt quelques-uns des petits fantômes amicaux que nous a fait connaître le cinéma d’animation japonais (mais je n’y connais rien en fantômes asiatiques). Le titre, « Après les vagues », nous invite à tourner la page des derniers mois, à croire en nos rêves et à aller de l’avant. « Si quelque chose nous déplaît grimacer n’y changera rien. Un peu de recul, un conseil avisé, et l’amer devient sucré. » A déguster en famille, tranquillement…

Dès 4 ans, et pour tous les âges

Sandrine Kao, Après les vagues, Grasset Jeunesse, 2022, 40 p., 18,90 € — Imprimé en Espagne

Isabelle Carré, La mer dans son jardin

« Avec émotion, la fillette dit au revoir aux copines qui l’attendent au pied du grand toboggan. Elle va désormais vivre en Bretagne, non loin de l’océan.
Jusqu’à ce jour, ses parents n’avaient jamais quitté leur banlieue parisienne. Marie, qui vient de fêter ses sept ans, n’a donc jamais vu la mer… »
Nouvelle maison, nouvelle école, nouveaux paysages. Et surtout la mer ! Mais voilà que Marie en a un peu peur, de cette immense étendue sauvage. C’est froid, ça remue, ça claque à chaque ressac… Et Maman, avec son gros ventre (oui, elle attend un bébé), va nager si loin. « Comment savoir ce qui se cache sous la surface ? Des poissons certainement, des algues aux formes bizarres, des méduses jaunes et violettes… et d’autres créatures inconnues. »
Après ce premier contact, une bonne nuit s’impose. Marie, tout doucement, sombre dans un rêve étrange : la mer monte, monte, « bientôt on ira en classe en bateau ». Bien sûr, ce rêve peut donner matière à évoquer le risque de montée des eaux lié à un réchauffement climatique – mais il peut aussi être seulement un « mauvais rêve ». Dès le réveil, Marie n’a qu’une hâte : retourner sur la plage. Petit à petit, elle apprivoisera la mer, et goûtera aux joies de la baignade en attendant la naissance du bébé. Une belle histoire qui aidera les enfants à surmonter leurs peurs, sans hâte, entourés de la bienveillance de leurs parents.

Dès 6 ans

Isabelle Carré, La mer dans son jardin, illustrations de Kasya Denisevich, Grasset Jeunesse, 2022, 48 p., 16 €. Imprimé en Espagne.

Aurora Cacciapuoti, La petite fille qui avait peur de tout

De gros nuages noirs stagnent en permanence au-dessus d’Amélie. Tout moches, tout gribouillés… Jouer à la balançoire, faire un tour au parc, adopter un chien… Non merci, car « on ne sait jamais ce qui peut arriver ! » Sur son canapé favori, s’assied un jour « un petit machin gris et qui semblait tout triste ». Triste, parce qu’Amélie l’empêche de réaliser ses rêves… Cette créature saura, page après page, redonner de l’assurance et de la joie de vivre à la fillette. Courage, courage, petite Amélie !
Cet album aurait pu s’appeler « la petite fille à qui on a fait peur de tout », notamment par une surexposition à l’actualité, mais il pose tout de même de bonnes questions. Combien d’adultes brisent-ils les rêves des enfants en leur transmettant leurs inquiétudes – ou celles qui sont véhiculées par les médias ? Quand un enfant développe angoisses ou phobies, un album comme celui-ci sera bienvenu, mais pas suffisant tout de même… Comment faire pour redonner confiance aux enfants ? Inviter cette drôle de créature à aller jouer au square, quelle bonne idée ! Et ça marche mieux que de grignoter des cookies à la cuisine !

Dès 3 ans

Aurora Cacciapuoti, La petite fille qui avait peur de tout, Grasset Jeunesse, 2022, 40 p., 15 € — Traduit de l’anglais par Christian Demilly. Imprimé en Espagne

Chloé Mesny-Deschamps et Salomée Vidal, Et toi, qu’est-ce que tu manges ?

« Dans le pays de mes ancêtres », explique chaque enfant, les paysages sont magnifiques, mais ce qui est inimitable, ce sont les bons petits plats mitonnés par les mamans, les grands-mères, les oncles et les cousins. Guacamole mexicain, naans indiens, sushis japonais, gnocchis italiens, kanelbullar suédois, tout cela nous met l’eau à la bouche. Il suffira de bien suivre les 13 recettes expliquées en termes clairs pour se régaler et faire un tour du monde culinaire, loin des fast-foods et de la malbouffe. Les illustrations de Lucia Calfapietra nous offrent un extraordinaire bain de couleurs, débordant d’énergie : rien de tel pour ouvrir l’appétit !

Dès 8 ans

Chloé Mesny-Deschamps et Salomée Vidal, Et toi, qu’est-ce que tu manges ?, illustrations de Lucia Calfapietra, Grasset Jeunesse, 2021, 64 p., 16,50 € — Imprimé en Espagne

Miguel Tanco, Toutes petites histoires

De toutes petites histoires, en effet, et sans autre texte qu’un titre… pour deux ! Dans un généreux format à l’italienne, Miguel Tanco propose, face à face, des planches sans paroles qui se répondent sur le même thème – donné par le double titre. « C’est magique ! » : magique de sortir un lapin de son chapeau – enfin, pas vraiment puisque l’artiste pose juste le lapin sur l’épaule de l’apprenti magicien. Magique aussi, d’emporter avec soi un ruban d’herbes hautes après avoir traversé le pré, une bien jolie trouvaille poétique parmi celles qui traversent cet album. Parfois, le sens de l’histoire saute aux yeux, parfois il faut scruter la suite des planches pour trouver ce qui a changé. Un trésor de délicatesse et d’humour sur le thème de l’enfance, un humour léger, de la fantaisie en bouquet, un émerveillement renouvelé à chaque page… sans oublier un bon zeste d’impertinence. A raconter, à se raconter, ou à se laisser raconter, car les petits sauront faire éclore bien des rêves à la lecture de cet album original.

Dès 4 ans

Miguel Tanco, Toutes petites histoires, textes français de Christian Demilly, Grasset Jeunesse, 2021, 80 p., 15,90 € — Imprimé en Espagne

Emma Lidia Squillari, La Baignade

Si Charlot, le chat, n’a pas envie de se mouiller, Odile, d’un coup de fil, convainc ses amies Coco et Pattie d’aller se baigner. Mais si l’oie aime nager, ce n’est le cas ni de la petite truie, ni de la pie… La journée n’est donc pas aussi « parfaite » qu’Odile l’avait imaginée. Jusqu’à ce qu’elle découvre, au fond de l’étang, « une bête horrible et effrayant qui la dévisage de ses yeux maléfiques »… Brr ! Les trois amies vont braver leur peur et résoudre ce mystère — je ne vous raconte pas la fin !
Italo-américaine, Emma Lidia Squillari a grandi dans la campagne piémontaise, entourée d’une grande fratrie et de nombreux animaux, dont elle croque les menues aventures avec un humour bienveillant.

Dès 3 ans

Emma Lidia Squillari, La Baignade, Grasset Jeunesse, 2021, 40 p., 15 € — Texte français de Christian Demilly. Imprimé en Espagne

Anne Cortey, La très grande aventure

« Le soleil se lève à peine. Marcello le petit pois et Nanni le haricot sont fatigués de leur longue marche et entrent dans la cour d’une ferme pour se reposer.
Mais… « Cocorico ! » Dans cette ferme, il y a un poulailler ! Et les volailles adorent les légumes verts (surtout les petits pois et les haricots) ! » Nos deux compères de se trouver croqués séance tenante… Fin de l’histoire ? Bien sûr que non ! Ce n’est que le début d’un road movie assez original. Car, à peine sortis du ventre du coq (non, non, pas de celui de la baleine de Pinocchio !), Marcello (le petit pois) et Nanni (le haricot), en parfaits Italiens, vont enfourcher une Vespa et continuer leur voyage… Cet album frais, coloré, fourmillant de détails et de bonne humeur, est un grand bol d’air qui nous montre que l’endroit où l’on va est aussi important que les personnes qui nous accompagnent.

Dès 3 ans

Anne Cortey, La très grande aventure, illustrations d’Olivier Latyk, Grasset Jeunesse, 2021, 32 p., 14,50 €