Thème

Philosophie, religion, réflexions

Anne Waeles, Simone Weil au royaume des Oublieux

Le bac philo est passé – et me voilà à parler de philosophie ? Eh oui, car cette introduction à la pensée de Simone Weil (1909 – 1943), étant plus une fable qu’un cours théorique, peut se lire ben au-delà d’un programme scolaire parfois indigeste.
Au Royaume des Oublieux vivaient deux tribus séparées : celle des Têtes, qui commandaient, et celle des Mains, qui exécutaient. La Brigade de la Gomme veillait. Mais un jour, les Mains se mirent en grève et la propre fille du roi des Oublieux, la princesse Amal, disparut de Têtes-ville…
Cette histoire, contée par Anne Waeles, professeure de philosophie, ouvre sur une réflexion sur l’enracinement, l’attention aux autres, la justice et le sens du travail… Car la princesse Amal, au cœur de la Forêt Noire, a rencontré non pas une sorcière, mais une grande dame de la philosophie : Simone Weil, qui lui explique ceci avec des mots simples :
«  — Quand on veut découvrir une vérité coûte que coûte, il faut parfois sortir de chez soi. C’est ce que tu as fait, en prenant la voie qui t’a conduite jusqu’ici. Mais il existe un autre chemin. Ce chemin, c’est d’exercer… son attention. […] Faire attention, ce n’est pas se concentrer. Ce n’est pas vraiment un effort, il faut plutôt se rendre disponible, se tenir prêt à accueillir la vérité. »
Ce nouveau volume vient étoffer cette riche collection consacrée aux grands philosophes – et celui-là est particulièrement bienvenu dans ces temps agités où les Têtes et les Mains ont du mal à s’entendre, au grand bénéfice des Gommeux.

Dès 10 ans

Anne Waeles, Simone Weil au royaume des Oublieux, illustrations de Magali Dulain, Les Petits Platons, 2022, 64 p., 14 € — Imprimé en Union Européenne.

Isabelle Stock, La Promesse d’Hermine

« — On doit déchiffrer ce truc, de toute façon, déclara Léonie. Qui est forte en codes ?
— On va vérifier tous ceux qu’on connaît, annonça Jeanne.
— Je m’occupe des Œufs pourris ! s’exclama Léonie. C’est mon préféré ! Jeanne, tu as du papier et un crayon ?
— Il y a des œufs pourris ? sursauta Mary avec une grimace de dégoût.
— Non, Mary ! répondit Jeanne en riant. C’est un code. On change les lettres du message pour découvrir le sens. « Œufs pourris » signifie E pour I ! »
Après un premier camp haut en couleurs (tome 1), Hermine retrouve la patrouille du Koala pour une nouvelle année vécue dans le souvenir de la Grande Guerre. Entourée de Jeanne, Léonie, Olivia…, elle est bien décidée à être digne de la promesse qu’elle va prononcer. Mais entre le quotidien parfois agité de la maison et la vie de patrouille pas toujours simple, il n’est pas si facile de devenir la meilleure guide possible ! Après le succès du tome 1, les nouvelles aventures des filles du Koala font vibrer les jeunes lectrices avec cette image d’un scoutisme authentique vécu dans l’amitié, le don de soi et la joie. Une sympathique orientation catholique assumée, mais qui, en dehors de tout « entre soi », fait connaître de belles figures d’adolescentes.
Passionnée de scoutisme, mère de famille et professeur, Isabelle Stock signe le deuxième tome de la série « Les filles du Koala », qui en fera rêver plus d’une !

Dès 10 ans

Isabelle Stock, La promesse d’Hermine, illustrations de Juliette Vizzaccaro, Emmanuel Jeunesse, 2022, 280 p., 14,90 € — Imprimé en France

Geert de Sutter, Cherche et Trouve Sara et Simon sur les chemins de Compostelle

Que de monde au départ de Paris sur ce chemin qui n’est pas encore la rue Saint-Jacques ! Parmi la foule bigarrée, il s’agit de retrouver Sara (et sa poupée), Simon (et son lance-pierre), Félix, l’instituteur, et sa fille, Estelle – que mon petit-fils de 5 ans a nommé le papa et la maman, car il a du mal à comprendre que les enfants marchent sans surveillance ! -, sans oublier les deux chats et Quentin, le bouquetin.
Nous voilà plongés en plein Moyen Age, et, de ville fortifiée en abbaye, d’auberges en marchés, que d’aventures attendent nos amis ! Alors, quand les brigands menacent ou que la neige obstrue les cols… Douze grandes scènes très animées et riches en détails ponctuent ce pèlerinage – et nos yeux arriveront un peu fourbus au pied de la cathédrale !

Dès 5 ans

Geert de Sutter, Cherche et Trouve Sara et Simon sur les chemins de Compostelle, Mame, 2022, 32 p., 11,50 € — Imprimé en Roumanie

Sandrine Kao, Après les vagues

La mer. L’île. Explorer. Se perdre. Belle étoile. La rencontre. S’attacher. Se découvrir. Chaque page ou double page de cet album, en quelques images et si peu de mots, ne décline pas une simple « aventure », ou une « situation », mais suggère ce qui se passe au fond de nos cœurs quand on part à l’aventure, à la découverte de soi et des autres. Les « héros » en sont de petits animaux au contour très simple dont Sandrine Kao ne sait pas elle-même très bien si ce sont des lapins, des chiens ou des marmottes… J’y verrai plutôt quelques-uns des petits fantômes amicaux que nous a fait connaître le cinéma d’animation japonais (mais je n’y connais rien en fantômes asiatiques). Le titre, « Après les vagues », nous invite à tourner la page des derniers mois, à croire en nos rêves et à aller de l’avant. « Si quelque chose nous déplaît grimacer n’y changera rien. Un peu de recul, un conseil avisé, et l’amer devient sucré. » A déguster en famille, tranquillement…

Dès 4 ans, et pour tous les âges

Sandrine Kao, Après les vagues, Grasset Jeunesse, 2022, 40 p., 18,90 € — Imprimé en Espagne

Charlotte Grossetête, Les cloches du maître chocolatier et autres contes inédits

« Pâques approchait. Et cette année, la fête coïnciderait avec un anniversaire : Marthe et Marie, les cloches de l’église, allaient avoir cinq cents ans. Pour célébrer l’événement, Gautier avait eu l’idée de réaliser un modèle de cloches en chocolat les reproduisant fidèlement. » Partant de cette très louable initiative, Charlotte Grossetête entraîne peu à peu le lecteur dans une autre dimension. Car il suffit parfois d’un sourire pour changer la vie… surtout quand le tendre sourire de deux saintes femmes se déploie sur des cloches en chocolat !
Les lièvres de Pâques ? Nous les retrouvons batifolant dans la nuit polaire, à la recherche de la lumière – un phénomène encore mystérieux pour ces joyeuses boules de poils. Les œufs ? Ce sera l’occasion de rencontrer une princesse russe, vieille dame aveugle si digne dans sa solitude, à qui deux enfants rapportent un œuf de pierres précieuses « volé » par une pie. Ce sera aussi le thème d’un autre conte, où un œuf en chocolat offre son plus beau sourire – et bien plus encore – à un enfant des rues. Le cinquième conte nous entraîne dans la montagne, où un berger accueille un curieux visiteur, tout de blanc vêtu, parti chercher mille cloches à Rome.
Ces cinq contes, aux illustrations intemporelles et poétiques, transmettent avec subtilité et générosité les valeurs chrétiennes du temps pascal, avec un sens du merveilleux toujours très positif.

Dès 5 ans

Charlotte Grossetête, Les cloches du maître chocolatier et autres contes inédits, illustrations de Sara Ugolotti, Mame, 2022, 64 p., 17 € — Imprimé en Slovénie

Edmond Rostand, La Brouette

De la part de Mathilde H. Un beau jour d’hiver, Jésus et Saint Pierre descendent du ciel, comme ils en ont régulièrement l’habitude pour réparer certaines injustices. Dans une forêt, ils aperçoivent une vieille femme qui pousse une brouette vide. Saint Pierre s’esclaffe : mais que fait cette femme sans doute un peu folle, qui pousse inlassablement sa charrette ? Jésus ne dit rien…
Ce petit conte en vers d’Edmond Rostand, est à lire pendant l’Avent, au coin du feu !
Une magnifique histoire sur la confiance et la persévérance.
Les vers de Rostand sont sublimés par les magnifiques illustrations d’Astrid Valence dans cet album grand format. Le poème est suivi d’une courte biographie de l’auteur, d’une présentation de son œuvre et d’un lexique.

A lire seul dès 6 ans, et en famille à haute voix.

Edmond Rostand, La Brouette, illustrations d’Astrid Valence, Téqui, 2020, 32 p., 16€

 

Louise Guillemot, Les Véritables Aventures d’Homère, premier des poètes

« C’est un symbole.
— Un quoi ? demanda le marin.
Homère sourit.
— C’est “comme si”, dit-il.
Artémis le lui avait appris. “Comme si”, c’est la formule magique pour jouer, imaginer, raconter, chanter. On croit, mais on ne croit pas, les deux à la fois. Les filles et les femmes de Samos ne croient pas vraiment qu’elles partagent un banquet avec la déesse. Elles font “comme si”. Elles comprennent l’importance de ce moment, de leurs gestes, des nœuds dans leurs cheveux. […] si elles en oubliaient le sens, alors Samos ne serait plus Samos. » Et l’Hymne à Artémis ne nous serait pas parvenu, défiant les siècles… Un hymne dit « homérique », car sa beauté est telle que les Grecs pensaient qu’il avait été composé par Homère lui-même.
Homère ? Vous avez dit Homère ? Et vous en savez beaucoup, vous, sur Homère ? Sûrement pas autant que sa Muse, qui, par la plume de Louise Guillemot, raconte ici l’enfance et l’adolescence du « premier des poètes ». Après 3000 ans de mystère, Louise Guillemot vous révèle avec autant d’humour que d’érudition, les « véritables aventures » d’Homère.
Chaque épisode de cette « biographie » 100 % poétique s’appuie en effet, par un somptueux jeu de miroirs, sur un des hymnes aux grandes divinités : Artémis, Athéna, Apollon, Hermès, Déméter, Zeus lui-même… Au fil des pages, les grands mythes fondateurs de la religion grecque font entrer le lecteur dans un monde à la fois très proche et très lointain. Avec le jeune Homère, on rit (oh, la belle bataille d’oranges !), on s’inquiète (hum… quelles curieuses brigandes dans la forêt), on a aussi faim de galettes dorées que soif d’aventures !
Quand on lit une traduction aussi fine et inventive des Hymnes homériques, on se demande quelle folie pousse nos ministres à limiter l’enseignement des langues anciennes à quelques heures de découverte superficielle… Voilà une toute jeune normalienne agrégée dont tous les hellénistes en herbe rêveront de suivre les cours ! En attendant, d’Olympie à Epidaure, de la Crète à Athènes, lacez vos sandales et suivez la Muse !

Dès 12 ans

Louise Guillemot, Les Véritables Aventures d’Homère, premier des poètes, illustrations de Clara Dupré, Les Petits Platons, 2021, 272 p., 19 €

Béatrice Alemagna, Les choses qui s’en vont

« Dans la vie, beaucoup de choses s’en vont. Elles se transforment, elles passent. » Que ce soit le petit bobo, les poux, les larmes, toutes ces petites misères finissent par passer – et même quand les cheveux tombent comme les feuilles mortes, ce n’est pas si grave – et ça, on le voit bien avec ce jeu de calques qui modifient « juste un peu » les images et retiennent l’attention. Car le plus important vient à la fin : « Une seule chose ne s’en va pas. Et ne s’en ira jamais. Jamais. » mais qui n’est jamais dite non plus – c’est, vous l’avez deviné, immuable, solide et perpétuel, l’amour d’un parent pour son enfant. Ce livre d’artiste plein de trouvailles graphiques a obtenu en 2020 le Prix Sorcières.

Dès 4 ans

Béatrice Alemagna, Les choses qui s’en vont, Hélium, 2019, 70 p., 15,90 € — Imprimé en Belgique

Louise Guillemot, Parménide et la fille du Soleil

« Il était une fois…
Il était une fois quoi ?
Il était une fois un roi qui mangeait des petits pois sur un sofa de soie. »
Rien de tel qu’une comptine absurde pour captiver son auditoire ! Louise Guillemot, jeune normalienne agrégée de lettres classiques, a sorti de son sac à malices tous les ingrédients nécessaires pour faire entrer ses lecteurs à pas menus dans un univers franchement complexe : celui du philosophe grec Parménide d’Elée, qui vécut au tournant du VIe et du Ve siècle avant notre ère. La fille du Soleil, c’est la jeune Phoebé, Phoebé la Lumineuse, qui va nous conduire à la recherche de la Justice et de la Vérité, en passant par la fiction et le réel, sans oublier le principe de non-contradiction. Quel chemin emprunter ? Celui qui s’appelle « EST », ou celui qui s’appelle « N’EST PAS » ? Celui qui va très loin, ou celui qui est d’emblée impraticable ? Fidèles à leur ligne éditoriale, les Petits Platons font rimer poésie et philosophie, dans un conte finement illustré. Les papiers de soie découpés, tout légers de Lauranne Quentric nous font retrouver toute la luminosité grecque – et il en faut pour ne pas se perdre dans la nuit !

De 9 à 99 ans (selon l’éditeur !)

Louise Guillemot, Parménide et la fille du Soleil, illustrations de Lauranne Quentric, Les Petits Platons, 2021, 64 p., 14 € — Imprimé en Union Européenne.

Yan Marchand, Thalès et le trône de la sagesse

Thalès, le célèbre philosophe, vécut au VIe siècle avant J.-C. à Milet, sur la côte ionienne. Ce philosophe et géomètre, connu pour sa créativité et la rigueur de sa pensée, était aussi tête en l’air : la légende veut que, tombé dans un puits, il en soit ressorti tout guilleret : le tube du puits était épatant pour observer les étoiles !
Le récit commence par une pêche miraculeuse à Milet : un trône d’or forgé par le dieu Héphaïstos lui-même ! Mais il est écrit qu’il doit revenir au plus sage… Thalès, à l’aide ! Où trouver un vrai sage, dans ce monde déchiré par des tyrans cupides ? Pour connaître la réponse, il faudra résoudre une énigme… pharaonique.
Le lecteur est conduit à rencontrer les grandes thématiques milésiennes : la sagesse, le savoir, la géométrie, le pouvoir, la richesse… Au croisement de combats, de voyages et d’énigmes, des raisonnements mathématiques et géométriques y sont présentés. Familiarisez-vous à la pensée de Thalès, figure foisonnante pour notre imagination, grâce à la limpidité et l’humour de ce conte fabuleux relatant des épisodes fantastiques où se rencontrent pharaons, tyrans, dieux, philosophes et pêcheurs.

Dès 12 ans et pour tous les apprentis philosophes

Yan Marchand, Thalès et le trône de la sagesse, illustrations de Clara Dupré, Les Petits Platons, 2021, 64 p., 14 €

Isabel Thomas, Renarde

Chaudement habillés, nous entrons sous le couvert des bois…  Sur le sol gelé se devinent les traces d’un renard. D’une renarde, plutôt, en chasse pour nourrir ses renardeaux. Les voici, le printemps venu, qui sortent du terrier et jouent à croquer des papillons. Une nuit, ils suivent enfin leur mère à la chasse. Et là, c’est le drame. « La renarde est aveuglée par les phares. La voiture freine… Trop tard. La renarde est projetée… dans un méli-mélo d’herbes écrasées. La renarde se roule en boule, le rythme de son cœur ralentit, son dernier souffle est suspendu dans l’air. » Et nos trois orphelins de regagner leur tanière. Pourtant, le récit ne fait que commencer. Au fil des jours, très naturellement, « la renarde commence à s’estomper » — et même si le mot est poétique, la réalité décrite est strictement biologique. Parce que, « si la mort est la fin d’une vie », « la fin d’une histoire », elle est aussi « un renouveau, le début d’une vie pleine d’espoir », car la dépouille de la renarde va nourrir d’autres animaux, explique l’auteur. L’album se termine par une double page documentaire qui aborde la disparition comme un phénomène naturel avec des mots simples et sensibles. Je ne suis pas assez férue de philo pour faire un rapprochement avec les écoles bouddhistes ou avec les atomistes grecs, mais il y a de cela dans cet album, servi par de superbes illustrations. A conseiller après la disparition d’un animal de compagnie, pas forcément pour aider au deuil d’un proche.

Dès 7 ans

Isabel Thomas, Renarde, illustrations de Daniel Egnéus, Editions Quatre Fleuves, 2021, 48 p., 12,90 € — Traduit de l’anglais. Imprimé en Chine.

Louise Guillemot, Pythagore et la grande évasion des nombres

« C’était un triangle rectangle, dont les côtés étaient représentés par des galets posés à intervalles égaux : trois galets pour un côté, quatre pour un autre, et cinq pour le dernier.
Mais ce triangle avait quelque chose de curieux : chacun de ses côtés était aussi l’un des côtés d’un carré. Il y avait donc un carré dont les côtés mesuraient trois galets, un carré de quatre galets de côté, et cinq galets pour le dernier.
On aurait dit que le triangle avait des ailes. »
Si ma prof de maths avait dessiné au tableau un triangle prêt à s’envoler, j’aurais bien plus vite compris le fameux théorème qu’un certain Pythagore, dans cet album, explique à ses élèves un beau jour du VIe siècle avant J.-C. Juste un épisode dans ce récit dont les nombres sont les héros : Un, Deux, Trois et Quatre. Imaginez qu’ils se sont évadés de la vie quotidienne pour se retrouver à Crotone, en Grande-Grèce. Ils y découvrent qu’ils ne sont pas seulement utiles, mais qu’ils sont beaux et nécessaires à l’harmonie du monde.
Une initiation onirique aux mathématiques, il fallait l’oser – mais ces paris extraordinaires sont la marque de fabrique des éditions de Petits Platons. 1, 2, 3, partez !

Dès 9 ans

Louise Guillemot, Pythagore et la grande évasion des nombres, illustrations d’Anna Griot, Les Petits Platons, 2021, 64 p., 14 € — Imprimé en Europe.